segunda-feira, 20 de março de 2017



   L'éveillerai-je pour entendre les choses qu'elle me dit, me murmure dans l'obscurité. Pas durant le jour.
   - Je n'avais jamais le désir de vivre avant de vous connaître. Je pensais toujours qu'il serait préférable que je meure. Avoir si longtemps à attendre avant que ça finisse!
   - Et avez-vous jamais dit cela à quelqu'un?
   - Il n'y avait personne à qui le dire, personne pour m'écouter. Ah! vous ne pouvez vous faire une idée de Coulibri!
   - Mais après Coulibri?
   - Après Coulibri, c'était trop tard. Je n'ai pas changé.
   Toute la journée elle était comme toute autre jeune femme, se souriait dans son miroir (Aimez-vous ce parfum?), essayait de m'apprendre ses chansons, car elles me hantaient.
(...) Il lui arrivait souvent d'être silencieuse, ou irritée sans motif, et elle bavardait avec Christiphine en patois.
   Je lui disais:
   - Pourquois serrez-vous dans vos bras et embrassez-vous Christophine?
   - Pouquoi pas?
   - Moi, je ne serrerais pas dans mes bras ni n'embrasserais des nègres. Je ne le pourrais pas.
   De cela elle riait longuement, sans jamais me dire pourquoi elle riait.
   Mais la nuit, combien elle était différente! Même sa voix était changée. Toujours à parler de mort. (Essaie-t-elle de me dire que c'est cela, le secret de cet endroit? Qu'il n'y a pas d'autre issue? Elle sait. Elle sait.)
   - Pourquoi m'avez-vous rendue désireuse de vivre? Pourquoi m'avez-vous fait cela?
   - Parce que je le désirais. N'est-ce pas une raison suffisante?
   - Si, c'en est une. Mais si, un jour, vous ne le désires plus. Qu'est-ce que je deviendrais, alors? Supposez que vous me retiriez ce bonheur pendant que j'ai le dos tourné...
   - Et que je perde le mien? Qui serait à ce point stupide?
   - Je n'ai pas l'habitude de bonheur, dit-elle. Il me fait peur...
   - N'ayez jamais peur. Ou, si vous avez peur, ne le dites à personne.


   Rhys, Jean. La prisonnière des sargasses. Paris: Éditions Gallimard, 1971, pp 110-112 (Traduit de l'anglais par Yvonne Davet).
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